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Parvenu à ce point culminant de mon prodigieux récit, tu as envie de me crier : « Arrête ton char, Ben Hur, sinon tu vas sortir de l'écran ! »
Je sais bien que le drame pleut dru ; mais qu'y puis-je-t-il ? Fallait pas m'accompagner aux States, si tu es une petite nature, Lanlure. C'est un pays de sang où le port d'arme est libre. Depuis l'enfance, ces tordus ont la détente dans les doigts. En France, on tire des coups de bite ; chez eux, ce sont des coups de feu. Ils n'ont pas la parole facile, mais savent faire parler la poudre. Chacun son mode d'expression.
Je me place derrière l'intendant afin de situer l'endroit d'où on l'a praliné. Facile. Il s'est fait mâchurer le cigare depuis une tour d'angle qui ajoute à l'incohérence de la construction. Ladite est percée d'une meurtrière et le canardeur a pu se régaler en toute tranquillité.
Dès lors, je fonce réveiller mes deux êtres auxiliaires (un grammairien inverserait les mots) en les priant de me prêter main-forte. Ordre de sortir des toiles tous les habitants de la demeure afin de leur renifler les doigts.
Tu ne l'ignores pas, Bézuquet, depuis que tu as lu ton premier Agaga Christie : quand on vient de défourailler, il subsiste des molécules de poudre sur les doigts.
Béru prend l'aile gauche, Jérémie la droite, et ma pomme se réserve la partie centrale.
Étranges investigations nocturnes.
Nous toquons à chaque porte. Un individu (mâle ou femelle) vient délourder avec plus ou moins de retard. Nous balbutions une brève excuse, saisissons ses pattounes et les flairons. Certains sentent le cul, d'autres le con, voire les pieds, ce qui est paradoxal pour des mains. Mais la poudre, que nenni !
Arrachés à leur sommeil, les reniflés ne réagissent pas, l'hébétude l'emportant. Seulement ils récupèrent et nous interrogent sur les raisons de notre comportement.
- Il vient d'y avoir un meurtre, répondons-nous, ce qui leur stoppe le caquet.
Au bout de ce contrôle, nous avons fait chou rouge 8.
Je vais consulter les gardes de nuit, lesquels somnolent dans la guitoune leur étant destinée près de l'entrée. Leur demande s'ils ont délourdé à quelqu'un, depuis notre retour. M'assurent que non.
Inlassable, je vais dans la tour. Curieux que l'ouverture par laquelle l'on a composté Sancha Panço s'appelle une meurtrière !
L'endroit pue la poudre. Me fous à l'équerre pour chercher d'éventuelles traces. Bien m'en biche, puisque je découvre un peu plus bas la douille d'une bastos. A examiner avec le plus grand soin.
In the pocket ! comme disait ce kangourou venant de trouver une boîte de préservatifs.
Je continue de gravir l'escalier du donjon. Trois niveaux en tout. M'attends à déboucher dans un quelconque grenier.
Va te faire mettre, je me pointe dans un stand de tir ultraperfectionné et insonorisé. Cibles classiques de carton numérotées, cibles mouvantes sur déroulant, cibles reproduisant l'humain dans différentes positions. Des armes sont accrochées à des râteliers : carabines, revolvers, pistolets, pistolets-mitrailleurs.
Illico, des fragrances de poudre me titillent les naseaux. Je me dirige droit sur l'arsenal. Ne mets pas longtemps à dégauchir l'objet du délit. Il est encore tiède. Un feu superbe, de fabrication ritale.
Je sors d'une fouille mon petit nécessaire à prendre les empreintes de « gitane » chères à Béru. Si j'en déniche, elles ne signifieront pas grand-chose car beaucoup de gens se sont probablement exercés avec ce riboustin.
Cette rapide opération accomplie, je sors du stand par une porte opposée. Ladite donne sur une terrasse. Je la traverse sans tu sais quoi ? Oui : coup férir !
Cet espace d'environ dix mètres sur douze est entouré de fleurs en bacs. M'agine-toi que l'un des massifs se trouve placé perpendiculairement au mur, au lieu de le longer comme les autres. Cette anomalie m'attire. La plate-bande fleurie méritait le détour, en effet. Con-an-juge : elle pivote, ce qui est rarissime pour un massif de fleurs.
Ce faisant, elle dévoile un puits dans lequel s'enfonce une échelle de fer.
Tu sais ma témérité ?
Tu comprendras alors que je m'engage aussitôt par l'ouverture.
***
Je ne compte pas les barreaux. En tout cas il y en a des chiées, voire un peu plus. Je me sens pousser des ampoules aux mains. Voyage au centre de la terre du brave Jules (bali) Verne.
Parvenu au bout de celui-ci, j'ai les cannes mollassonnes et les genoux qui font bravo.
Un souterrain se propose, je l'emprunte.
Pas du tout le côté terrier suintant. Non : plutôt les couloirs du Métro en miniature. J'y déambule d'un bon pas, tendu comme la corde d'un arc ou comme la bite d'un violeur à la tire (un coup).
Qu'il est long le chemin conduisant au Ciel ! Duraille d'évaluer les distances dans un boyau qu'éclaire seule ma loupiote de gousset.
A force d'à force, j'arrive tout de même au bout, à savoir au pied d'une deuxième échelle.
De nouveau, je chique le petit écureuil (qui se carre des glands dans le cul en prévision (ou provisions) de l'hiver.
Cette fois, je résurge tu veux savoir où ?
Dans un confessionnal, mec. A la place qu'occupe le prêtre pour entendre les turpitudes des pénitents.
Me voici dans une petite chapelle bâtie en contrebas du domaine. La lampe rouge est allumée, arrachant tant bien queue mâle un autel fromagesque à la noye.
Je me dirige vers la porte.
Sors.
Je retrouve la nuit tiède, la brise, des senteurs aquatiques. Le lac est à deux pas, immense flaque d'argent sous la lune, ne puis-je me retenir de lyrismer.
Entre l'eau et la chapelle : la route.
C'est par là qu'est venu le meurtrier.
Par là qu'il est reparti.
Conclusion : il connaît les lieux très à fond.